L'Existence est une, et tous les êtres qui évoluent en son sein battent au même rythme, indéfiniment répercuté. C'est pourquoi le cours de chaque existence particulière est comparable au cycle des jours et des saisons : le lever du soleil, le printemps en marquent le début ; le crépuscule, l'automne en annoncent le terme ; midi et l'été sont l'apogée, la nuit et l'hiver le sommeil de l'existence. Les Peaux-Rouges, qui sont des fils de la Nature, ont une intuition particulièrement développée de ces correspondances et de ces rythmes cosmiques. De nombreux auteurs ont remarqué cette faculté et exposé, parfois avec une remarquable clairvoyance, les conceptions cosmologiques et les attitudes spirituelles qu'elle a engen-gendrées(2). Nous allons cependant nous arrêter sur un aspect qui revêt une importance particulière pour la compréhension de la Midéwiwin et du but poursuivi par ses adhérents.
L'axe est-ouest, qui joint les points extrêmes de la course apparente du soleil et qui est aussi l'axe des équinoxes est appelé, chez les Ojibways, « le chemin de la vie ». Chaque être est considéré comme entrant en ce monde à l'orient, là où le soleil point au-dessus de l'horizon, faisant surgir toutes les formes du chaos de la nuit ; il en sort au confin occidental, à l'endroit où l'astre de jour disparaît, plongeant la terre dans les ténèbres et laissant transparaître la voûte du ciel. Entre ces deux limites, la route est longue à parcourir, et semée d'embûches. Nul n'est à l'abri des vicissitudes, des tentations et des épreuves, car elles sont inhérentes aux conditions formelles et limitatives qui régissent l'être individuel, de sa naissance à sa mort. Certaines d'entre elles sont plus particulièrement liées à la modalité corporelle de l'individu ; d'autres — et ce sont les plus dangereuses — menacent son intégrité psychique. Contre les unes et les autres, il n'est, pour l'Indien ojibway, qu'un remède souverain : la Midéwiwin et les grâces qu'elle confère.
Les enseignements concernant le « chemin de la vie » occupent une place essentielle dans la formation des Midéwiwinis. Etant donné, cependant, qu'il s'agit d'un sujet forcément complexe puisqu'il traite du sens même de l'existence et de la destinée humaines, nous tenterons d'en aborder l'étude un peu comme le ferait un Indien : nous observerons les pictographies, nous écouterons — s'il existe — le commentaire de l'instructeur traditionnel et nous réfléchironssur les énigmes et les rébus qui nous sont proposés, laissant agir sur nous le mystérieux pouvoir des symboles.
Voici trois dessins pictographiques extraits des ouvrages de trois observateurs (3). Tous ont été exécutés par les Ojibways du nord des Etats-Unis (forêts du Minnesota et rive sud du Lac Supérieur). Pour chacun, il sera donné quelques renseignements sur l'origine du dessin et la personne de son auteur ou commentateur. Les données chronologiques disons-le d'emblée, sont parfois approximatives et n'ont, de toute façon, qu'un intérêt très secondaire. En effet, la pictographie sacrée, de même que les enseignements qu'elle véhicule, a une origine très ancienne : elle existait bien avant l'arrivée des Blancs et s'est transmise, inchangée, jusqu'à nos jours dans les loges de la Midéwiwin. De même, c'est avant tout le souci d'authenticité qui m'a incité à rechercher quelques détails sur la personnalité du commentateur indien ; car s'il est bien évident que l'ampleur et la profondeur des explications dépendent de l'intelligence et du degré d'instruction de celui qui les donne, il y a une garantie quasi absolue contre le risque de mensonge volontaire, car un Indien ne parle pas de ce qu'il ignore, en particulier dans les choses de la religion. Le commentaire péchera donc parfois par laconisme, mais jamais par tendance à l'affabulation .