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La Grande Médicine des Ojibways

Jean-Louis MICHON.

IV "Le Chemin de la Vie"

L'Existence est une, et tous les êtres qui évoluent en son sein battent au même rythme, indéfiniment répercuté. C'est pourquoi le cours de chaque existence particulière est comparable au cycle des jours et des saisons : le lever du soleil, le printemps en marquent le début ; le crépuscule, l'automne en annoncent le terme ; midi et l'été sont l'apogée, la nuit et l'hiver le sommeil de l'existence. Les Peaux-Rouges, qui sont des fils de la Nature, ont une intuition particulièrement développée de ces correspondances et de ces rythmes cosmiques. De nombreux auteurs ont remarqué cette faculté et exposé, parfois avec une remarquable clairvoyance, les conceptions cosmologiques et les attitudes spirituelles qu'elle a engen-gendrées(2). Nous allons cependant nous arrêter sur un aspect qui revêt une importance particulière pour la compréhension de la Midéwiwin et du but poursuivi par ses adhérents.
L'axe est-ouest, qui joint les points extrêmes de la course apparente du soleil et qui est aussi l'axe des équinoxes est appelé, chez les Ojibways, « le chemin de la vie ». Chaque être est considéré comme entrant en ce monde à l'orient, là où le soleil point au-dessus de l'horizon, faisant surgir toutes les formes du chaos de la nuit ; il en sort au confin occidental, à l'endroit où l'astre de jour disparaît, plongeant la terre dans les ténèbres et laissant transparaître la voûte du ciel. Entre ces deux limites, la route est longue à parcourir, et semée d'embûches. Nul n'est à l'abri des vicissitudes, des tentations et des épreuves, car elles sont inhérentes aux conditions formelles et limitatives qui régissent l'être individuel, de sa naissance à sa mort. Certaines d'entre elles sont plus particulièrement liées à la modalité corporelle de l'individu ; d'autres — et ce sont les plus dangereuses — menacent son intégrité psychique. Contre les unes et les autres, il n'est, pour l'Indien ojibway, qu'un remède souverain : la Midéwiwin et les grâces qu'elle confère.

Les enseignements concernant le « chemin de la vie » occupent une place essentielle dans la formation des Midéwiwinis. Etant donné, cependant, qu'il s'agit d'un sujet forcément complexe puisqu'il traite du sens même de l'existence et de la destinée humaines, nous tenterons d'en aborder l'étude un peu comme le ferait un Indien : nous observerons les pictographies, nous écouterons — s'il existe — le commentaire de l'instructeur traditionnel et nous réfléchironssur les énigmes et les rébus qui nous sont proposés, laissant agir sur nous le mystérieux pouvoir des symboles.

Voici trois dessins pictographiques extraits des ouvrages de trois observateurs (3). Tous ont été exécutés par les Ojibways du nord des Etats-Unis (forêts du Minnesota et rive sud du Lac Supérieur). Pour chacun, il sera donné quelques renseignements sur l'origine du dessin et la personne de son auteur ou commentateur. Les données chronologiques disons-le d'emblée, sont parfois approximatives et n'ont, de toute façon, qu'un intérêt très secondaire. En effet, la pictographie sacrée, de même que les enseignements qu'elle véhicule, a une origine très ancienne : elle existait bien avant l'arrivée des Blancs et s'est transmise, inchangée, jusqu'à nos jours dans les loges de la Midéwiwin. De même, c'est avant tout le souci d'authenticité qui m'a incité à rechercher quelques détails sur la personnalité du commentateur indien ; car s'il est bien évident que l'ampleur et la profondeur des explications dépendent de l'intelligence et du degré d'instruction de celui qui les donne, il y a une garantie quasi absolue contre le risque de mensonge volontaire, car un Indien ne parle pas de ce qu'il ignore, en particulier dans les choses de la religion. Le commentaire péchera donc parfois par laconisme, mais jamais par tendance à l'affabulation .

DesnmoreFig. 1 Desnmore p. 24.

éxecuté vers 1908 par Mainans (Petit Loup), membre éminent de la Midéwinin, appartenant à la loge de Mille Lacs (Minnesota), dont on dit qu'elle a conservé le rituel originel sous une forme particulièrement pure.

Commentaire de Mainans .

«Ce diagramme représente le chemin de la vie (the path of life), de la jeunesse à la viei'lesse. La tangente qui apparaît à chaque angle indique une tentation. Il y a sept de ces tentations.

La première tangente représente la première tentation, qui arrive à un jeune homme. S'il y succombe, il ne vivra pas longtemps.

La deuxième tangente représente la deuxième tentation, et la sanction de celle-ci est aussi qu'il ne vivra pas longtemps.

Avec la troisième tentation apparaît l'élément de responsabilité religieuse et l'homme (qui est supposé être un membre de la Midéwiwin) est interrogé : « Comment as-tu agi quand tu as été initié à la Midéwiwin ? As-tu été respectueux envers les membres plus âgés et as-tu fidèlement rempli toutes 1 s obligations ? »

La quatrième tangente est placée au-delà de l'angle de la ligne. Elle représente une tentation qui se présente à l'homme au milieu de sa vie.

Avec la cinquième tentation, l'homme commence à réfléchir sur la propre durée de ses jours et se demande : « As-tu jamais manqué de respect à l'égard de la vieillesse ? »

La sixième tentation revient à l'idée religieuse et demande si toutes les obligations religieuses ont été remplies.

La septième tentation est dite la plus rude de toutes, et si quelqu'un la supporte, il vivra jusqu'à l'âge qui a été alloué à l'homme. A ce moment, un esprit mauvais vient à lui et s'il n'a même fait que sourire pendant une cérémonie de la Midé, il doit en rendre compte. »

Observations personnelles

Le commentaire de Mainans, bien qu'assez, détaillé, laisse subsister plusieurs points obscurs. Tout d'abord, la nature des deux premières « tentations » — ou épreuves — n'est pas clairement indiquée. D'après d'autres données traditionnelles, il est très probable que la première épreuve de la vie est associée aux risques de la naissance (accouchement et survie du bébé) et la seconde au jeûne de l'enfant impubère. De même que le mot « jeunesse » (youth) en tête du récit doit être lu « enfance », de même le « jeune homme » (young man) serait ce que nous nommons l'enfant. C'est en effet une idée très généralement acceptée que si un enfant n'accomplit pas son premier jeûne dans les conditions voulues (par exemple parce qu'il succombe à la tentation de manger quelques baies ou de boire la pluie tombée du ciel), il ne recevra pas la vision tutélaire qui devrait le guider toute sa vie durant.

De même, la quatrième épreuve, qui survient « au milieu de la vie » (in middle life) n'est pas autrement décrite. Il s'agit d'un moment particulièrement important du cycle de la vie humaine après lequel le Midé peut espérer que ses jours s'écouleront paisiblement jusqu'à sa mort. Ce n'est pourtant pas le cas ici puisque trois tentations attendent encore le vivant, dont la dernière est « la plus rude de toutes » (the hardest of all).

L'idée qui domine cette description de la vie est que l'homme est responsable de ses actes et de ses pensées. Il doit être maître des uns et des autres et tout écart par rapport à la norme retentit défavorablement sur son destin et son développement intérieur. Cette norme est la voie de la religion, de la Midéwiwin, laquelle s'identifie au chemin de la vie parfaite.

KohlFig. 2. Kohl, p. 287.

Recopié en 1855 par Kohl à l'Anse (rive sud du lac Supérieur) d'après une pictographie sur écorce de bouleau appartenant à Kitagiguan (Plume tachetée) et illustrant les paroles d'un chant sacré.

Commentaire de Kitagiguan

« ... Là, je chante les paroles suivantes : « Je suis venu pour te prier, afin que tu me donnes cet animal, l'ours. Pour lui (pour le trouver), je marcherai sur le chemin droit, le chemin de la vie » (/ will walk on the right path for it, the path of life).

Observations personnelles

Outre l'absence des tangentes ou bifurcations — qui ne faisaient d'ailleurs qu'expliciter le symbolisme de l'angle sans rien lui ajouter d'essentiel — deux caractéristiques distinguent cette figure de la précédente :

a) le nombre des « tentations », qui est ici de quatre. Ce chiffre est symbolique et correspond aux quatre âges de l'homme : enfance, adolescence, âge mûr (ou milieu de la vie) et vieillesse ; il correspond également aux quatre degrés de la Midéwiwin qui sont des étapes plus fondamentales encore de la vie de l'initié ;

b) la relation entre le chemin de la vie et l'ours. Celle-ci ressort de la juxtaposition des deux idéogrammes ainsi que des paroles du chant sacré.

II s'agit là d'une association très fréquente et qui joue un rôle capital dans les rites de la Midéwiwin. On dit du candidat qui entre dans la loge-médecine qu'il « marche avec l'Esprit de l'Ours » (Makwa Manido). L'ours (Makwa) est considéré comme le guide spirituel par excellence. Il possède en effet des qualités particulièrement précieuses pour s'orienter dans l'épaisse forêt du monde : la force qui éloigne les ennemis (les mauvaises pensées, les tentations), la ténacité et la détermination d'aller jusqu'au but, enfin et surtout le « flair », c'est-à-dire le discernement (savoir distinguer ce qui est bon de ce qui est nuisible, trouver les utiles « médecines » dans l'abondance et la variété des choses d'ici-bas).

L'ours est présent à toutes les cérémonies d'initiation et les représentations pictographiques montrent souvent ses traces à l'entrée de la loge sacrée, ou sa silhouette jouant du tambour à côté de la loge-médecine (une de ces représentations montre en particulier l'Esprit de l'Ours accompagnant de son tambour la progression de l'initié). Parfois il garde les portes pour en éloigner les intrus (et sur la dite image, l'entrée et la sortie de la deuxième loge sont gardées par quatre manidos-ours, de même que la sortie de la quatrième loge). Parfois encore, il occupe le centre d'une loge dont il est considéré comme l'esprit tutélaire (4).

Cependant, c'est lors de la cérémonie d'initiation au quatrième grade que l'identification du candidat avec Makwa revêt sa forme la plus spectaculaire : au cours d'une extraordinaire pantomime sacrée, le Midéwinini, cheminant à quatre pattes avec son arc, pénètre dans la loge par l'entrée orientale ; il en ressort par la porte sud (5) et va se reposer un instant dans le « nid de l'ours », un petit wigwam de feuillage qui a été dressé à quelques mètres de cette entrée ; puis il se représente devant la porte et décoche quelques flèches vers le centre de la loge, dans laquelle il pénètre à nouveau pour en ressortir du côté ouest ; là, le même jeu recommence : station dans un deuxième nid dressé près de l'entrée, retour vers la porte, lancer de flèches, entrée dans la loge et sortie du côté nord où se trouve le troisième nid ; mêmes gestes, suivis d'une sortie et d'une rentrée finales par la porte orientale de la loge où va se dérouler la cérémonie d'initiation proprement dite. Ainsi s'opère, par la vertu de l'Ours, la prise de possession des quatre quartiers du monde ; c'est le cercle entier de l'existence terrestre qui est récapitulé, réintégré en son centre (le milieu de la loge-médecine où s'élève le mât symbolique et vers lequel sont dirigées les flèches lancées des quatre points cardinaux). Et l'acteur, homme-ours, de cette pantomime donne ainsi la preuve qu'il a réalisé les possibilités inhérentes aux trois premiers grades, qu'il a suivi le chemin de la vie droite jusqu'au point où sa nature d'homme a retrouvé la plénitude de son état originel, et qu'il peut donc, désormais, aspirer au grade ultime, celui de Kitchi Manido, dans lequel l'homme, véritablement, entre en contact avec le Divin.

L'assimilation des traces de l'ours au chemin de la vie parfaite — qui n'est autre que la voie de la Midé ou Grande médecine — est un des grands thèmes de la spiritualité ojibway. Nous la retrouvons jusque dans une déclaration faite par une écolière chippewa de la Mission catholique de Kenora (Ontario, Canada) que l'on interrogeait récemment sur les croyances de son peuple. Cette jeune fille parla du « sorcier » (sorcerer, par quoi elle voulait désigner le medicine-man ou chamane) et en donna cette définition :

« C'est celui qui a été choisi pour suivre la trace de l'ours et pour conduire tous les siens au paradis des Indiens. » Puis elle ajouta : « La trace de l'ours est une route ; nos aïeux disaient que c'est l'ours qui, le premier, a tracé la route ; aussi le serpent. En d'autres endroits, on dit que c'est le castor, l'orignal ou le tonnerre. Chaque tribu indienne a sa route, mais cela revient au même et il n'y a qu'un paradis pour elles toutes. » (6)

On comprend mieux, dès lors, le sens de la prière de Plume tachetée qui demandait au Grand Esprit de lui donner l'ours et qui affirmait que cette quête le ferait marcher sur le chemin de la vie, le chemin droit. Ce qu'il demandait, c'était la bonne guidance, la grâce et la force spirituelles qui lui ouvriraient dès cette vie l'accès à l'immortalité.

Hoffman

Reproduction partielle d'un rouleau d'écorce de bouleau (dimensions : 2,15 m de long sur 0,45 m de large) représentant les quatre degrés d'initiation et découvert en 1887 par Hoffman à Red Lake (Minnesota). Son propriétaire, Skwekomik, le tenait de son père qui l'avait lui-même reçu en 1825 de Badâsan, grand medicine-man et chef des Ojibways Winnibegoshish. Ce dernier l'aurait obtenu à l'origine du principal chamane de La Pointe (Wisconsin), à une époque où des cérémonies conformes à l'antique rituel étaient tenues annuellement dans cette Réserve. Ce rouleau n'avait jamais été montré à un Blanc et Skwekomik, qui possédait un grade élevé dans la Midéwiwin, l'avait déjà utilisé pendant de nombreuses années pour l'instruction des candidats. Comme le précédent, il retrace le déroulement des cérémonies exécutées à l'origine par Menaboju et la progression de la Loutre (l'âme individuelle) à travers tous les grades de Midéwiwin.

Commentaire de Skwekomik

« ... L'endroit où Menaboju descendit sur la terre (1) était une île au milieu d'une grande étendue d'eau, et le Midé que tous craignent est appelé Minisinoshkwe (Celui qui vit sur l'île)...
« S'étendant vers la gauche à partir de l'extrémité de la loge du quatrième degré (80), il y a un sentier angulaire (99) qui représente la voie à suivre par le Midé après qu'il a atteint cette haute distinction. En raison même de son rang, cette voie est souvent hérissée de dangers, indiqués par les angles droits, et de tentations qui risquent de l'égarer ; les points où il pourrait éventuellement dévier de lavraie norme sont indiqués par des traits partant vers la droite et vers la gauche (100). La figure ovoïde (101) à l'extrémité de ce chemin est appelée Wai-ek-ma-yok : la Fin de la route et, dans le rituel, on y fait allusion en parlant de la « fin du monde », c'est-à-dire de la fin de l'existence de l'individu. Le nombre de barres verticales (102), à l'intérieur de la figure ovoïde, signifie que le propriétaire originel a été un Midé du quatrième grade pendant quatorze ans. »

Observations personnelles

La « Fin de la roule » débouche sur l'Infini ; en effet, cette route est appelée, pendant le rite d'initiation, le « chemin qui n'a pas de fin ». Nous y reviendrons et constatons d'abord que, par rapport au diagramme précédent, celui-ci nous renseigne davantage sur la dernière étape de la progression du Midéwinini et sur l'aboutissement de ses efforts et des grâces qu'il a reçues lors de ses initiations successives.

On pourrait s'étonner de voir que « le chemin qui n'a pas de fin », celui qui part de la quatrième loge et en sort vers l'ouest, est encore hérissé de difficultés et tentations. La seule explication qui nous paraisse plausible, et qui découle d'ailleurs de la nature des choses, est la suivante : entre le moment où l'initié reçoit l'influence sacrée et celui où cette grâce s'actualise en lui, il s'écoule presque nécessairement (sauf le cas, très exceptionnel, d'une réalisation immédiate ou quasi instantanée) un laps de temps plus ou moins long pendant lequel l'homme reste soumis, dans sa chair et dans son âme, aux aléas et aux tentations du monde. Dans la majorité des cas, ce n'est même que la mort naturelle qui peut le libérer de ces ultimes entraves. C'est pourquoi la pictographie que nous avons sous les yeux n'en est que plus émouvante : elle est le témoignage d'un homme qui, pendant sa vie terrestre, est entré dans la station d'immortalité appelée, par les Hindous, dans sa pleine réalisation, celle de «délivré vivant».

Car c'est bien de cela qu'il s'agit : le « chemin qui n'a pas de fin » ne peut que déboucher sur l'immortalité. Ainsi, ce qui paraît être la « fin du monde » est en réalité le retour à ce qui n'a pas commencé et ne s'achèvera jamais ; ce qui, vu du côté de l'existence individuelle semble une mort est, pour l'être qui le subit, une fusion avec l'universel. Cette « fin » du cycle de l'individualité est analogue à son début. En effet, de même que Menaboju était descendu à l'origine sur l'île du centre de la terre pour y enseigner le Grand Rite, de même celui qui a suivi de bout en bout le chemin droit de la Midé est ramené dans l'île qui est son propre centre. Installé pour toujours dans ce lieu inexpugnable, il est « craint » de ses semblables, par quoi il faut entendre qu'il leur inspire une crainte révérencielle, étant comme un mort parmi les vivants, comme un géant dont la tête est au ciel et les pieds sur la terre et dont les membres peuvent atteindre tous les recoins de l'univers. « Ses pouvoirs magiques sont illimités », dit Hoffman ; sans doute est-ce vrai puisqu'il est au centre du monde, qu'il rassemble en lui la force des quatre éléments corporels : air, eau, terre, feu, et celle des éléments subtils : les esprits qui habitent les animaux et toutes choses. Et, fût-il dépourvu de toute science magique ou de tout souci de l'exercer, il n'en serait pas moins vénérable. Sa grandeur, il la tient avant tout de sa ressemblance avec Menaboju, le Sage parfait, et de sa communion avec le Grand Esprit. Elle réside, pourrions-nous dire en paraphrasant l'écolière de Kenora, dans le fait qu'il est une lumière pour son peuple et qu'il a le pouvoir de conduire ses semblables sur le chemin droit, le chemin de la vie éternelle.

Jean-Louis MICHON

Notes:

(1) Cf. E.T. nºs 459, 460, 461.

(2) Voir en particulier : « Une métaphysique de la nature vierge », par Frithjof Schuon, dans Etudes Traditionnelles(n° 361, Paris, 1960) ainsi que l'introduction du même auteur à l'ouvrage de Black Elk et J. E. Brown : Les rites secrets des Indiens Sioux, Paris, 1953. Bien que F. Schuon se réfère surtout à la tradition des Indiens des Plaines, ses considérations s'appliquent aussi, moyennant quelques transpositions dans l'emploi des symboles, à la spiritualité et à la Science sacrée des Ojibways. Nous retiendrons notamment ici le qualificatif de « polysynthétique » employé par cet auteur pour caractériser la vision indienne du monde et de Dieu.
Il ne faut d'ailleurs pas s'étonner des variantes dans la signification que différentes tribus indiennes, et même divers groupes d'une même tribu, attachent à des symboles aussi fondamentaux que les couleurs ou les points cardinaux. Elles prouvent péremptoirement que le symbolisme n'a pas, comme le voudraient certains, une origine naturaliste et que les idées métaphysiques qu'il sert à exprimer ne sont nullement le résultat d'une observation phénoménique ou d'un empirisme quelconque. Comme le dit Hartley Burr Alexander : « La nature ne nous donne que les vêtements extérieurs que notre imagination peut approprier pour faire réelles nos intuitions » (L'Art et la Philosophie des Indiens de l'Amérique du Nord, Paris, 1926). Des considérations très pertinentes sur ce sujet sont formulées par Joseph Epes Brown (auteur de l'ouvrage mentionné ci-dessus) dans : The Spiritual Legacg of the American Indian, Pendle Hill Pamphlet n° 135, 1964.

3) Densmore, op. cit., p. 24 ; op. cit., p. 287 ; Hoffman, op. cit. pl. III.

4) C'est notamment le cas dans le rituel de Mille Lacs où les esprits tutélaires des quatre loges sont, respectivement : 1) la Loutre ; 2) l'Oiseau tonnerre ; 3) l'Ours ; 4) le Grand Esprit.

5) La loge-médecine « classique », celle qui a été décrite plus haut, ne comporte que deux portes : l'une à l'est et l'autre à l'ouest. Cependant, deux ouvertures supplémentaires, au nord et au sud, sont parfois pratiquées pour les initiations au quatrième degré, comme dans le rituel décrit ici par Hoffman, ce qui renforce encore le symbolisme cruciforme associé à ce grade.

(6) Anthropologica, Ottawa, n° 2, 1956 (traduit de l'anglais).